Ado, Amanda Rheaume gribouillait ses émotions dans un journal intime. Des années plus tard, ces bribes d’angoisse sont devenues les paroles de chansons originales qu’elle a chantées avec son groupe rock – entre deux « covers » de pièces connues – devant un public avide de bière à la célèbre boîte de nuit Zaphod Beeblebrox d’Ottawa. La jeune artiste suivait ainsi sa muse, du moins c’est ce qu’elle croyait, en donnant des spectacles cinq soirs par semaine, jusqu’à ce qu’elle ait deux épiphanies qui lui ont fait comprendre qu’elle avait un rôle plus important à jouer en tant qu’artiste.

La première s’est produite au début des années 2000. Entassée dans une camionnette avec un groupe de jeunes musiciens, elle s’embarque dans une tournée de concerts à domicile dans le sud des États-Unis. Un soir, alors qu’elle s’exécute devant un autre groupe d’inconnus dans ce cadre intime, son cœur a pris le dessus : l’auteure-compositrice-interprète a réalisé qu’elle gaspillait son talent en chantant ces chansons de peu ou pas de substance.

La deuxième épiphanie est arrivée peu de temps après. Rheaume s’est rendu en Afghanistan pour donner une série de spectacles pour les soldats canadiens et, une fois de plus, son cœur a parlé. Même si elle rockait solide et que les troupes aimaient ses spectacles, quel message significatif avait-elle apporté à ces héros?

Depuis, Rheaume a ajouté une bonne dose d’introspection et d’ouverture sur le monde à son art. Elle écrit désormais sur des thèmes universels de manière totalement personnelle. En tant que citoyenne de la nation Métis et fière membre de la communauté LGBTQ2S+, elle savait qu’elle ne pouvait plus ignorer ses vérités.

« Je voulais dire quelque chose qui compte », dit-elle. « Je crois sincèrement que quand je suis sur scène, j’ai la responsabilité d’avoir un impact positif sur les gens. Après ces deux épiphanies, j’ai pris la décision d’arrêter de chanter mes peines d’amour et d’écrire des textes plus profonds sur mon identité, l’histoire de ma famille et la façon dont cela se traduit dans mon vécu. C’est crucial pour moi, en tant qu’artiste, de chanter ma vérité et la vérité des Métis. »

Rheaume a lancé cinq albums au fil des 15 dernières années. Keep a Fire (2013) a été finaliste pour un JUNO et a remporté le Canadian Folk Music Award de l’auteure-compositrice autochtone de l’année. La recherche de vérité et de profondeur se poursuit sur son plus récent album, The Spaces In Between. Réalisé par Hill Kourkoutis, l’album doit paraître le 27 mai 2022 sur étiquette Ishkōdé Records, la maison de disques cofondée et codirigée par Shoshona Kish dans le but d’alimenter et d’amplifier les voix autochtones. « Je suis incroyablement fière de cet album », dit-elle. « J’ai vraiment l’impression que c’est mon préféré. Stylistiquement, c’est mon projet le plus intime, c’est vraiment un portrait de qui je suis. »

Le premier simple, « 100 Years », est un cri de ralliement inspiré des paroles de Louis Riel, l’un des plus célèbres leaders métis du Canada, qui a dit : « Mon peuple dormira pendant cent ans, mais quand il se réveillera, ce seront les artistes qui lui rendront son esprit. »

The Spaces In Between propose également quatre interludes de « spoken word » par Tony Belcourt – le leader et activiste métis qui est également président fondateur du Congrès des peuples autochtones. Tout au long de l’album, Rhéaume retrouve l’esprit qui guide sa muse afin de trouver les mots justes. Sur la pièce titre, elle chante (traduit librement) :

I’m just trying to find my place (J’essaie juste de trouver ma place)
Trying to find some empty space (J’essaie de trouver un espace libre)
Where I’m comfortable enough to say the things I need to say (Où je me sens à l’aise de dire les choses que j’ai besoin de dire)

Elle a coécrit cette chanson via Zoom en compagnie de Kourkoutis et Serena Ryder. « La plupart de ces chansons parlent d’identité et de ma place dans le paysage qui m’entoure tout en me rattachant à l’histoire de la nation Métis », explique l’artiste.

Jagged Little Pill a été un album marquant de sa jeunesse. Aujourd’hui, elle s’inspire de Lucinda Williams, Ani Di Franco (au niveau des textes plus que la musique) – et plus récemment, de Joy Harjo, la première poétesse lauréate autochtone des États-Unis avec qui Rhéaume a suivi une classe de maître.

« Les artistes vivent déjà en marge… on trace notre propre chemin, même à contre-courant », dit-elle au sujet du thème central de The Spaces In Between. « On crée et on découvre nos propres espaces pour créer, réussir, développer un public et entrer en contact avec les gens. Rien de tout ça n’est déjà en place pour toi… Il faut que tu relèves tes manches et que tu fasses ton propre chemin. Pour chanter et exprimer les espaces intermédiaires, il faut d’abord s’aimer soi-même et accepter le fait qu’on n’est pas obligé de vivre à un seul endroit. Tu as le droit de continuer à grandir et à te redéfinir. »

À la recherche des chansons : les trois conseils D’Amanda Rheaume

1) « Écrire au moins cinq minutes (chronométrées) en mode écriture automatique chaque jour. Laissez le crayon sur le papier ou vos doigts sur le clavier. Ça n’a aucune importance si ce que vous écrivez n’a aucun sens. C’est comme un tuyau de plomberie en hiver : il ne faut pas que l’eau gèle! Dix minutes c’est encore mieux, et dès que vous vous levez c’est encore mieux… C’est une forme de discipline qui favorise l’excellence et la maîtrise de votre art. »

2) « Gardez une liste de titres et d’idées dans votre téléphone ou dans un carnet de notes qui ne vous quitte jamais. Les idées peuvent surgir dans notre conscience à tout moment. Et même si on essaie très fort de se souvenir de tout, c’est beaucoup plus simplement de tout prendre en note. »

3) « Finissez cette chanson. Chaque chanson que vous écrivez ne deviendra pas votre meilleure chanson à vie. Il faut parfois en écrire une pour ouvrir la voie à la suivante. La créativité et les idées sont abondantes. »

(Mise en ligne à l’origine en février 2022)