Al Tuck prenait part à une fête en 2012 lorsqu’un ami lui a suggéré d’écrire une chanson au sujet de Stompin » Tom Connors. Le Prince-Edouardien Al Tuck, qui avait déjà écrit une chanson pour le légendaire auteur-compositeur Gene MacLellan (dont la fille Catherine, également auteure-compositrice, fut l’épouse pendant un certain temps), le moment n’aurait pu être mieux choisi : sa jeune fille venait de découvrir la musique de Connors et ils avaient beaucoup de plaisir à l’écouter ensemble. « Il ne suffit parfois que d’un tout petit peu d’encouragement », explique Tuck.

La chanson, intitulée « StompinTomConnors.com » est la deuxième sur son nouvel album Fair Country, et la première est une reprise du « hit » de Connors paru en 1973, « To It and At It ». Tuck est connu pour son talent dans de nombreux genres musicaux, mais cet album, son neuvième, s’inscrit solidement dans la tradition country grâce à un heureux mélange de chansons originales, de collaborations (dont plusieurs avec Alex Rettie) et de reprises, incluant « Fly Right on By » de Rita McNeil et « Always on My Mind », popularisée notamment par Elvis Presley et Willie Nelson.

« Mes autres albums proposaient un mélange de genres assez drastique », admet l’artiste avouant du même souffle que cette fois-ci, il voulait réaliser un album plus grand public où l’auditeur saurait à quoi s’attendre du début à la fin. « Et il semble bien vouloir grimper dans les palmarès », dit-il en riant. « Peut-être que j’ai trouvé un bon filon?? »

Tuck se produit d’un bout à l’autre du pays depuis plus de deux décennies et il a découvert le monde de la musique grâce à son passage dans une chorale. Puis, à l’âge de 15 ans, il s’est mis à la guitare et a appris à jouer des chansons de Bob Dylan et des Rolling Stones. « J’ai mis un certain temps à trouver ma voix », raconte-t-il au sujet de ses premières tentatives à canaliser le blues. « J’ai vite réalisé que je n’avais aucune idée comment présenter ça, en tant que jeune gringalet blanc », se remémore l’artiste. « J’ai réussi à trouver ma propre voix lorsque j’ai décidé de laisser tomber le style que je tentais d’avoir pour plutôt être moi-même. »

C’est à Halifax, où Tuck s’est établi du milieu des années 80 jusqu’à son retour à l’IPÉ en 2004, pour se rapprocher de sa famille, qu’il a fondé Al Tuck and No Action, un groupe dont les membres changent régulièrement et que l’on surnomme « Al Tuck and No Filter » à St-Jean de Terre-Neuve. Il a fait paraître ses premiers albums sur murderecords, une étiquette fondée par d’anciens membres de Sloan, ce qui lui a plus tard permis d’assurer les premières parties de spectacles de Soundgarden, Nine Inch Nails et Marilyn Manson, pour ne nommer que ceux-là.

« Je n’avais aucune idée comment ça se passerait exactement, mais je savais que c’était exactement ce que je voulais faire. »

Malgré cela, Tuck n’est pas sur le radar de la vaste majorité des Canadiens. « Je vis de manière parfaitement anonyme la plupart du temps, bien que, de temps à autre, il y a également des moments de gloire et de gratification », confie Tuck. Parmi ces moments, il y a nul doute le fait qu’il est très apprécié de nombreux auteurs-compositeurs de grand renom qui disent de lui qu’il est un des meilleurs. Un exemple?? Jason Collett, de Broken Social Scene, dit d’Al Tuck qu’il est « le meilleur auteur-compositeur de sa génération ». Nulle autre que Feist a dit de lui qu’il est « une légende vivante ».

Évitant à tout prix de se définir comme mentor, Tuck, qui a été mis en nomination pour une variété impressionnante de prix — incluant une place sur la longue liste du prix Polaris en 2013 —, sait qu’il a un sixième sens pour dénicher le talent et il adore accompagner des artistes en devenir. À titre d’exemple, il se trouve privilégié d’avoir été parmi les premiers à entendre les toutes premières chansons de Old Man Luedecke. Il n’a d’ailleurs pas écarté l’idée de devenir producteur, éventuellement. « Je suis totalement ouvert à l’idée, pour le bon artiste », dit-il.

Tuck est le premier à admettre qu’il n’a pas orienté sa carrière de manière à la faire avancer au sein de l’industrie. « Je n’ai jamais su me satisfaire du statu quo, mais je n’ai pas non plus une ambition dévorante qui cherche à se faire voir à tout prix », ajoute l’artiste. Même Fair Country a failli ne pas recevoir l’attention que cet album mérite : Tuck, intrigué par une idée, l’a lancé en juin 2015 sous la forme d’une boîte d’allumettes rouge qui contenait un code de téléchargement. Il a heureusement été réédité sous forme de CD récemment, et Tuck espère toujours qu’il fera également l’objet d’un pressage en vinyle. « En fait, je suis simplement content qu’il connaisse ce deuxième souffle », dit-il.

Miraculeusement, du moins pour quelqu’un d’aussi peu carriériste qu’Al Tuck, Fair Country s’est rendu en première position du palmarès Earshot National Folk/Roots/Blues Chart, notamment grâce à la campagne de promotion de la firme maintes fois primée SpinCount qui compte notamment comme autres illustres clients les Joel Plaskett, Buffy Sainte-Marie, Amelia Curran et Donovan Woods.

Pour Tuck, le but par les temps qui courent (outre le fait de pouvoir compter sur un groupe qui soit également une équipe de baseball) est très simple : continuer d’écrire et de jouer, quoiqu’il admette volontiers que l’écriture a pris un rôle de second plan depuis quelques années, ne serait-ce qu’en raison de l’immense quantité de chansons qu’il a amassées au fil du temps. « De temps en temps il me prend une envie d’écrire, mais il faut qu’elle soit vraiment persistante pour que je m’y mette, et c’est bien ainsi : c’est comme ça que je sais que le résultat sera probant. »

Peu importe son chemin tortueux, Tuck affirme qu’il n’a jamais pour une seule seconde remis en question sa décision de faire carrière en musique. « Je n’avais aucune idée comment ça se passerait exactement », dit-il, « mais je savais que c’était exactement ce que je voulais faire. »