Ses parents avaient déménagé au milieu de nulle part pour s’assurer qu’elle, ses sœurs et son frère ne feraient pas de bêtises. Mais même transplantée au cœur des plaines manitobaines, dans le petit village rural d’Aubigny, marijosée (sans majuscule) n’avait rien perdu de la fougue de ses cinq ans. En cachette, elle remplissait son sac à dos de nourriture, la première étape de son plan d’évasion. Puis elle franchissait la porte d’entrée pour s’engager dans le chemin privé menant à la route. « Mais je finissais toujours par faire demi-tour avant même de me rendre à la rue tellement c’était loin, » se souvient la musicienne qui vient de faire paraître son premier album complet, Pas tout cuit dans l’bec.

La musique est arrivée dans sa vie à la même époque. Franco-manitobains, ses parents trainaient la marmaille à la messe tous les dimanches. « Mon père chantait dans la chorale de l’église. Sa voix était tellement forte qu’il enterrait tout le monde, c’était presque gênant. Il a fini par m’inscrire dans la chorale à mon tour. Mes parents tenaient à ce qu’on chante en français. Lors des longs trajets en voiture, ils nous forçaient à traduire nos chansons anglophones préférées. C’est comme ça que “Lean On Me” de Bill Withers est devenue “Penche-toi sur moi”!» La démarche a porté fruit. Perceptible en entrevue, l’accent anglophone de marijosée est quasi impossible à déceler sur disque, comme si elle avait assimilé sans trop s’en rendre compte toute la musicalité de la langue française.

« À chaque deux ans, je changeais de concentration. J’ai donc étudié le chant classique, pop, jazz et même country. »

Puis ce fut les traditionnelles leçons de piano. Avant chaque cours, l’adolescente devait coller sa gomme usagée sur le dessus de son piano parce que son professeur refusait qu’elle mâchouille en pianotant. Après avoir accumulé une collection impressionnante de petites boules multicolores, elle s’est tournée vers le chant, mais suivant toujours une démarche atypique. « À chaque deux ans, je changeais de concentration. J’ai donc étudié le chant classique, pop, jazz et même country. Ça me donnait de nouvelles idées et de nouvelles techniques dans lesquelles piger pour trouver ma propre voix. Mais au final, je crois que c’est le chant jazz qui m’a le plus marquée. Il y a une liberté dans ce style qui me plaît énormément, parce que je peux improviser ou changer de rythme subitement. Disons que ça cadre bien avec ma personnalité limite TDA. »

Les influences jazz sont d’ailleurs bien présentes sur Pas tout cuit dans l’bec, un album qui diffère des influences plus électro entendues sur Rebondir, le premier maxi de marijosée, paru en 2011. Cette fois, son chant imprévisible ou très chaleureux témoigne bien de son amour pour le jazz, tout comme les lignes de contrebasse et la nervosité des percussions omniprésentes sur l’album.

« C’est l’autre grand coup de cœur de ma carrière. Lorsque j’ai abandonné les leçons de chant pour des cours de percussion, ma voix et mon phrasé ont changé. Je me suis mise à avoir plus de rythme dans mon chant, à couper davantage les mots, à jouer avec les sonorités, » explique celle qui compose même ses mélodies vocales à partir de rythmes qu’elle tape sur n’importe quel objet qui lui tombe sous la main. « J’ai composé la pièce titre de l’album à partir d’un beat qui me faisait de l’effet. La chanson raconte comment ma famille m’a surtout transmis l’envie de manger plutôt que celui de faire carrière en musique. »

« Pas tout cuit dans l’bec » n’est pas la seule chanson abordant son métier d’auteure-compositrice-interprète. « Promesse de la fontaine » répond à tous ceux qui lui ont conseillé de déménager au Québec pour donner plus de chance à sa carrière. « C’est pas que je refuse de quitter le Manitoba. Parce que dans un sens, c’est vrai qu’il manque d’outils ici. On a beau recevoir des subventions, je n’ai pas de maison de disques ou d’équipe de gérance à ma disposition. Mais en même temps, je ne veux pas partir pour simplement tenter ma chance au Québec. Si on m’offre quelque chose de concret, je pourrais faire le saut, mais aller à Montréal pour me croiser les doigts et m’installer avec mon chapeau et ma guitare au coin de rue… ça ne m’intéresse pas. »

Et si la majorité des autres chansons du disque font état des rapports complexes entre marijosée et les hommes, c’est qu’elle estime n’avoir rencontré que des « cons » depuis sa rupture avec son ancien mari. Mais ça, c’est une autre histoire. « Vous saurez à la sortie de mon deuxième album si j’ai finalement rencontré le bon gars, » blague la musicienne qui, d’ici là, défendra ses chansons un peu partout à travers le Canada et même en Europe, où elle jouera cet été en France et en Suisse.